Moyen Âge et période moderne
La nécessité de conserver les archives de la communauté en lieu sûr est, entre autres raisons, celle que le comte d'Auxerre Jean de Bourgogne avance pour justifier la construction d'un hôtel de ville au milieu du XVe siècle. Le fonds d'archives de la communauté a déjà connu des pertes : « comme des chartres, lettres, comptes, papiers et registres appartenans a ladicte ville, dont ils [les habitants d'Auxerre] ont semblablement perdu grant partie, et ce qui en avoit et a été trouvé, parce qu'ilz avoient été mis en lieux rematicles [humides], sont toutes caduques et effacée, tellement que à grant peine on les peut lire ». Les documents avaient jusque-là été conservés conjointement avec les archives de l'Hôtel-Dieu au prieuré de Saint-Eusèbe, dans une « voûte » louée à cet effet par les habitants. Les archives restent au prieuré de Saint-Eusèbe jusqu'au milieu du XVIe siècle, pour être ensuite effectivement transférées à l'hôtel de ville.
Toutefois, la conservation à l'hôtel de ville n'empêche pas les vols et distractions de documents. Deux conclusions du corps de ville de la fin de l'année 1665 en témoignent. La première réglemente la consultation des archives : « aucuns papiers ne seront emportés du trésor et archives de cet hôtel commun, qu'en conséquance d'une conclusion et délibération authentique, pour éviter aux accidens qui en pouroient arriver, qui causeroient grand préjudice au public ; et que pour l'avantage dudit public aux occurrences qui se présenteront, où il sera absolument nécessaire de voir lesdits papiers, registres de conclusions, titres ou autres, ils seront vus en l'hôtel commun en la présence de nous maire, gouverneur et échevins, sans que lesdits papiers et registres, ainsi qu'il est promis, puissent en quelque sorte que ce soit être désemparés dudit hôtel commun. Et où il seroit besoin d'en justifier, soit en la ville de Paris ou ailleurs, il y sera par nous pourvu ».
La seconde conclusion, prise suite à la constatation de l'absence de certains titres, autorise le procureur des habitants à solliciter du bailli la publication de monitoires dans les paroisses de la ville : « Sur ce qui a été représenté par monsieur le maire qu'après avoir visités les titres, pièces et papiers qui se sont trouvés dans l'hôtel commun de cette ville, il a trouvé des inventaires ou cartulaires ou sont énoncées plusieurs pièces, lettres patentes de nos rois consernants les privilèges de cette ville et autres pièces très utiles et avantageuses au public, mêmes plusieurs quittances données par les créanciers de cette ville, la plupart desquelles ne se rencontrent plus dans ledit trésor, pour avoir été distraites et diverties par des particuliers qui prétendent en faire leur profit au préjudice de l'utilité publique ».
Les efforts du corps de ville en matière de conservation des archives se font plus sensibles à partir de la fin du XVIIe siècle et au cours du XVIIIe siècle. Cette évolution tient certes aux prescriptions royales et à une définition plus précise des attributions des officiers municipaux, mais elle s'inscrit aussi dans le cadre du développement d'un « pouvoir urbain dépersonnalisé » qui caractérise les villes de Bourgogne au XVIIIe siècle.
Ainsi, la garde des clefs des archives et les modalités de rédaction de l'inventaire des archives figurent parmi les points abordés dans un accord du 11 mars 1697 qui définit les attributions respectives de Jean Baudesson, maire, et de Jean-Baptiste Morin, procureur du roi de l'hôtel de ville. Promulguée le lendemain, une déclaration royale sur les fonctions, droits et privilèges attribués aux maires de la province de Bourgogne indique qu'il « sera fait inventaire des papiers, titres et documens concernant lesdites villes et communautez, au pied duquel les greffiers, secretaires s'en chargeront ; et seront iceux et ledit inventaire remis et déposez dans les archives desdites villes et communautez, dont lesdits maires, les échevins, nos procureurs et lesdits greffiers, secrétaires auront chacun une clef, et les clefs des hostels de villes seront portées et consignées dans les maisons des maires ». Peu ou mal appliquées, ces dispositions sont rappelées quelques années plus tard par les commissaires pour la vérification des dettes et affaires des communautés de la province de Bourgogne.
On relève toutefois un souci ponctuel de mettre en application l'inventaire des archives, lors du dépôt de pièces nouvelles ou lorsque le corps de ville consent à prêter aux administrateurs de l'Hôtel-Dieu de la Madeleine des archives jusqu'alors conservées dans le « coffre qui est dans la grande salle de l'hôtel de ville ».
Le corps de ville prend à la fin des années 1750 une série de décisions tendant à assurer la conservation et le classement de ses archives. Les officiers municipaux suivent en cela une tendance observables dans d'autres villes bourguignonnes. Conjointement à des travaux de rénovation des bancs de la chambre du Conseil, l'intendant accorde en 1756 au corps de ville la permission de faire réaliser des armoires pour la conservation des titres de la ville. La dépense se monte à 327 livres de menuiserie et 54 livres pour les ferrures, les serrures et les clefs des armoires. Une « chambre des archives » est réalisée en novembre 1766 par le sieur Fournay, plâtrier .
Entre 1759 et 1761, le corps de ville engage un feudiste, le sieur de Senas, chargé de mettre « les titres de la ville en ordre ». Le sieur de Senas, ainsi qu'il le justifie dans l'introduction de son inventaire, possède déjà l'expérience de ce type de travail, ayant déjà « fait plusieurs ouvrages de cette nature dont les connoisseurs ont été contents ». À Auxerre, il travaille avec une équipe dont les noms sont inconnus et vraisemblablement en collaboration étroite avec le secrétaire greffier de l'hôtel de ville, Jacques-Étienne Faultrier-Brinville. À l'issue de l'intervention du feudiste, tous le documents ont été conditionnés, les pièces ont été réparties en 257 liasses qui ont été rangées dans quatre armoires. L'inventaire se compose de quatre registres manuscrits rédigés entre 1760 et 1761, sous le titre d'Inventaire général des titres et papiers des archives de l'hôtel de ville d'Auxerre en quatre armoires et quatre volumes. La dépense pour la ville dépasse les 6 000 livres ; elle donne un aperçu de l'importance du travail de classement et de conditionnement accompli. La méthode de travail du feudiste est étudiée plus bas dans la présentation du contenu du chapitre « Instruments de recherche et éléments de conditionnement anciens ».
Les archives de la villes sont désormais exploitables : d'assez nombreux éléments indiquent que la recherche et l'utilisation des titres par la communauté a été effective. Cet usage des archives à des fins de justification des prétentions de la communauté est bien documenté. Citons-en quelques exemples : dans le cadre d'une procédure pour la vente d'offices de jaugeurs, le procureur du fait commun demande un délai afin de rechercher des titres ; une tentative de contestation du droit de pêche dans le bief du moulin de Brichoux à l'abbaye de Saint-Marien fait aussi l'objet d'une recherche dans les archives. De même, la longue négociation préalable au rachat des droits d'aides dans les années 1770-1780, conduit les habitants d'Auxerre à puiser largement dans leurs archives afin d'appuyer leur argumentation. La communauté peut également fournir des titres à l'appui des revendications d'autres corps, ainsi lorsque les officiers du bailliage et siège présidial d'Auxerre cherchent à justifier leurs prétentions sur le ressort de la baronnie de Donzy.
Mais les modalités d'archivage instituées par le feudiste, certainement trop complexes pour être appliquées par le secrétaire greffier de l'hôtel de ville n'ont pas été suivies d'effet. Les pièces produites postérieurement à l'intervention du feudiste sont donc restées en dossiers qui n'ont pas été intégrés au plan de classement mis en place par le feudiste.
XIXe et XXe siècle
La Révolution française fonde un nouveau régime juridique où la possession des titres perd l'importance qu'elle avait sous l'Ancien Régime. Les archives de la communauté d'habitants acquièrent donc progressivement le statut de sources de l'histoire. Désormais dépourvues d'intérêt administratif immédiat, ces archives se présentent à l'administration municipale sous l'angle de la conservation matérielle des documents, qui varie au gré des déplacements du dépôt.
Entre octobre 1837 et février 1838, Adrien Lechat effectue un récolement des archives classées par le feudiste ; ses constations font l'objet de mentions manuscrites sur chaque bandeau de liasse. Les pertes relevées sont alors minimes. Adrien Lechat apparaît toujours chargé du classement et de l'inventaire des archives de la commune en 1839, certainement des archives les plus contemporaines. Le travail d'Adrien Lechat ne semble pas avoir porté de fruits au-delà de son intervention : les mauvaises conditions de conservation et le désordre des archives sont dénoncés en 1854 par le secrétaire général du ministère de l'Intérieur.
Il faut attendre 1857 pour que le conseil municipal adopte le principe du classement des archives et l'aménagement d'un lieu de conservation adapté. Une commission composée de MM. Challe, de Madière, Bazot, Rousseau et Lallemand est spécialement désignée à cet effet. Après l'examen de plusieurs projets, les archives sont transportées « dans une salle sous un hangard exposé au midi, une salle ad hoc, planchéiée, lambrissée, parfaitement aérée et garnie de rayons en quantité suffisante ». Les documents ont été transportés « bien que pêle-mêle dans ce nouveau local, sauf à prendre ensuite le temps nécessaire pour en opérer le classement avec ordre et méthode ». Maximilien Quantin, archiviste du département, et Théophile Blin, professeur d'histoire au collège, ont supervisé l'opération. Le 24 juillet 1858, Maximilien Quantin rend un rapport au maire dans lequel il signale les lacunes relevées à l'aide de l'Inventaire général de 1760-1761. Les archives postérieures à 1760 apparaissent alors classées par dossiers de matières rangées par ordre alphabétique. Quantin propose de les reclasser, afin de se conformer à l'ordre méthodique préconisé par la circulaire ministérielle du 25 août 1857 pour le classement et l'inventaire sommaire des archives communales antérieures à 1790, et d'en rédiger l'inventaire. L'intervention de Maximilien Quantin et Théophile Blin prend fin en 1859 avec le récolement des archives modernes.
Le transfert des archives dans les locaux de l'ancien palais de justice, aménagé en musée à la fin des années 1860, semble avoir réduit à néant le travail de Maximilien Quantin : « il n'y a aux Archives de la mairie d'Auxerre ni cartons ni portefeuille, les liasses les plus précieuses sont placées à nu sur des tablettes grossières ou appuyées contre une muraille récemment blanchie à la chaux, rien ne les protège contre la poussière, le soleil ou les insectes. Les documents anciens et modernes se trouvent confondus. [...] La translation du dépôt a eu pour effet de troubler l'ordre établi par M. l'archiviste départemental à la suite du récolement qu'il avait opéré en 1858 ». L'aménagement de la salle d'Eckmühl destinée à accueillir les collections données à la ville par la marquise de Blocqueville entraîne le déplacement des archives, d'abord dans la grande salle au rez-de-chaussée de la mairie puis dans une des pièces voûtées situées en-dessous de la bibliothèque. À une date indéterminée, à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle, les archives sont à nouveau déplacées dans un local situé « au-dessus du cabinet de M. le maire ».
L'exiguïté du local de conservation, le mauvais état de classement des archives et le risque d'incendie poussent le conseil municipal à accepter, en 1915, le dépôt aux Archives départementales des archives antérieures à 1800. Le dépôt des archives anciennes est révoqué le 3 mars 1993, date à laquelle les documents réintègrent les Archives municipales d'Auxerre.
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1. Jean Lebeuf, Mémoires concernant l'histoire civile et ecclésiastique d'Auxerre et de son ancien diocèse, t. 4, pièce justificative no 367, p. 255-256 : mandement de Jean de Bourgogne au bailli d'Auxerre (27 septembre 1452).
2. Adrien Lechat, « Horloge d'Auxerre », dans Annuaire statistique du département de l'Yonne, 1841, p. 63-79, à la p. 67 : quittance de 1459 conservée dans les archives de l'hospice.
3. Maximilien Quantin, Histoire anecdotique des rues d'Auxerre, Auxerre, Perriquet, 1870, p. 157.
4. Feudiste 112 n° 5 : conclusion du 29 novembre 1665.
5. Feudiste 112 n° 6 : conclusion du 6 décembre 1665.
6. Christine Lamarre, Petites villes et fait urbain en France au XVIIIe siècle : le cas bourguignon, Dijon, Éd. Universitaires de Dijon, 1993, p. 438.
7. Feudiste 73 n° 5 (11 mars 1697).
8. Feudiste 71 n° 6 (12 mars 1697).
9. Feudiste 96 n° 18 : copie d'une ordonnance des commissaires pour la vérification des dettes et affaires des communautés de la province de Bourgogne et d'un arrêt du Conseil (8 août 1713-6 juin 1715).
10. BB 31, fol. 57 : procès-verbal de dépôt de pièces aux archives de l'hôtel de ville (29 novembre 1700).
11. BB 33, p. 152 : conclusion du corps de ville (13 mars 1713).
12. Christine Lamarre, Petites villes..., op. cit., p. 441.
13. CC 783 : pièces justificatives des comptes d'Edme Parent, dépenses extraordinaires (1756).
14. CC 7117 : pièces justificatives des dépenses extraordinaires de 1767 (1767).
15. II 1.
16. CC 794 : compte d'Edme Parent, receveur des deniers patrimoniaux (dépenses extraordinaires pour l'année 1760, articles 47 et 48).
17. Feudiste 36 n° 4 : procès-verbal de vente des offices de jaugeurs (1618).
18. Feudiste 112 n° 12 : conclusion du corps de ville (5 avril 1696). La revendication s'appuie sur accord passé entre l'abbé et les religieux de l'abbaye Saint-Marien et les pêcheurs d'Auxerre au sujet du droit de pêche dans le bief de Brichoux (Feudiste 1 n° 3, juillet 1265).
19. Voir infra, la partie de l'instrument de recherche consacrée aux « aides » dans le chapitre « Impôts ».
20. Feudiste 109 n° 4 : copie d'une conclusion du corps de ville (23 juin 1688).
21. 1 D 22, fol. 98 : budget supplémentaire de 1839.
22. 3 D : Lettre du secrétaire général du ministère de l'Intérieur au maire d'Auxerre (16 novembre 1854).
23. 1 D 28, fol. 83 : délibération du conseil municipal (10 novembre 1857) ; 3 D : correspondance entre le maire et le ministère de l'intérieur (1854-1857).
24. 3 D : lettre du maire d'Auxerre au préfet de l'Yonne (7 juillet 1858).
25. 3 D : rapport de Max Quantin et Théophile Blin sur le récolement des archives anciennes (24 juillet 1858).
26. Arch. dép. Yonne, 77 T 19 : rapport d'inspection des archives d'Auxerre (21 janvier 1873).
27. 1 D 33, fol. 259 : délibération du conseil municipal (19 février 1878).
28. 1 D 33, fol. 263 : délibération du conseil municipal (26 mars 1878).
29. 1 D 43, p. 366 : délibération du conseil municipal (29 juin 1915).
30. 1 D 43, p. 349-350 et 1 D 43, p. 366 : délibérations du conseil municipal (8 mai 1915 et 29 juin 1915).